Comme l’indiquait déjà Peter Drucker (1) dans les années 90, les caractéristiques du management des hommes conditionneront de plus en plus les performances économiques et sociales des entreprises. Elles auront aussi un impact croissant sur leur image, et par conséquent sur leur capacité à attirer et à fidéliser les salariés dotés des qualifications dont elles auront besoin dans un contexte démographique annoncé de « guerre des talents ».
Cette prédiction est toujours d’actualité. Dans un univers économique de plus en plus concurrentiel et complexe, la performance des entreprises tient de plus en plus aux qualités et compétences des hommes et femmes qui les dirigent.
Les compétences nécessaires aux PDG et cadres dirigeants évoluent elles aujourd’hui ?
Depuis une vingtaine d’années, les compétences pour recruter un nouveau P-DG ou un cadre dirigeant s’articulent autour de plusieurs piliers clés de compétences dites « opérationnelles » : une expertise technique et métier forte, des compétences administratives et juridiques, des qualités avérées en gestion financière et comptable, et une solide expérience de gestion d’un nombre conséquent de collaborateurs.
Une étude représentative sur l’analyse de plus de 8000 offres de postes de dirigeant publiée en 2015 (2) confirme que les compétences attendues sont plus opérationnelles que relationnelles. Il apparait que la quasi-totalité (97 %) des annonces requiert une expérience significative dans le secteur concerné (solide expérience, expérience managériale avérée, plusieurs années d’expérience…) et pour près de la moitié (49 %) évoque un bon esprit d’équipe/goût du travail en équipe et des compétences reconnues en management. En revanche, les qualités de leadership (16 %) et d’organisation (5 %) sont peu évoquées dans les offres d’emploi. Plus étonnant, les qualités plus relationnelles et personnelles sont mêmes quasiment jamais demandées comme le goût du challenge, la persévérance, le sens de l’organisation, le sens de l’écoute, le pragmatisme, le sens de la pédagogie, ou la capacité à s’adapter avec moins de 5%.
Ce type de profil commence à se fissurer depuis peu. En effet, l’environnement dans lequel évolue les entreprises change très vite dans un monde de plus en plus VICA (Vulnérable, Complexe, Incertain, Ambigu). Cette complexité se retrouve désormais dans les compétences nécessaires pour des cadres dirigeants pour assurer la performance de leurs entreprises. Les profils deviennent moins monolithiques. Cette tendance se retrouve dans certains recrutements de PDGs (ou de cadres dirigeants) de grandes entreprises ou multinationales. La préférence pour des recrutements externes avec des profils plus variés que des recrutements internes (avec des managers reconnus mais ayant grandi (trop) dans le « moule maison »), fait apparaitre des fiches de postes plus complexes et un champ opérationnel moins marqué.
Aujourd’hui, les entreprises ont besoin de dirigeants capables de motiver des équipes hétéroclites, internationales avec des cultures et approches différentes, des équipes avec des métiers variés et de plus en plus complexe, des collaborateurs désormais rompus aux évolutions technologiques. Ils doivent également avoir un sens inné de la communication pour parler au nom de l’entreprise en incarnant son image, mais être également capable de s’adresser à des interlocuteurs de plus en plus variés (à d’autres grands capitaines d’industrie, à des gouvernements, à des syndicats, au grand public parfois, et désormais de plus en plus à des associations ou ONG, …). D’un point de vue « opérationnel », ils doivent être capable d’appliquer leur savoir-faire rapidement dans des écosystèmes organisationnels complexes et des relations humaines qui peuvent l’être également au sein de jeux de pouvoir qui peuvent exister au sein des entreprises.
Mais vers quoi tend le champ de compétences requis pour un PDG ou un cadre dirigeant aujourd’hui ?
Bien que la notion de leadership ait été étudiée, depuis des années, sous différents aspects, le profil de recrutement d’un PDG ou d’un cadre dirigeant ne cesse d’évoluer. Une étude très intéressante parue dans Harvard Business Review (3) apporte un éclairage riche et instructif sur ce sujet. Les données de près de 5 000 fiches de poste compilées par Russell Reynolds Associates (un des principaux cabinets de recrutement des cadres au monde. Russell Reynolds et ses concurrents jouent un rôle essentiel sur le marché de l’emploi des cadres : 80 à 90% des entreprises du « Fortune » 250 et du FTSE 100) et d’autres cabinets de recrutement de cadres dirigeants ont été analysées en détails.
Cette étude a débouché sur plusieurs enseignements :
- Le principal est que les compétences recherchées au cours des vingt dernières années étaient plutôt « opérationnelles » comme citées ci-avant, mais qu’aujourd’hui elles ont moins d’importance au bénéfice de compétences dites « sociales ». Sont définies comme compétences sociales, un ensemble d’aptitudes spécifiques : une bonne conscience de soi, un don d’écoute et de communication, une capacité à travailler avec des individus et des groupes variés, et ce que les psychologues nomment la « théorie de l’esprit » (4), c’est-à-dire la capacité à percevoir comment les autres pensent et se sentent. L’ampleur de la bascule est surtout marquée pour les PDG, mais elle reste prononcée pour les autres postes de direction étudiés.
- Les compétences sociales sont particulièrement importantes dans les environnements où la productivité repose sur une communication efficace, comme c’est invariablement le cas dans les entreprises complexes et de grande taille, à la main-d’œuvre qualifiée, et qui font appel à des spécialistes et expertises pointues. Ces compétences sociales sont d’autant plus vraies qu’ils doivent consacrer un temps considérable à échanger avec les autres et à faciliter la coordination (en partageant les informations, en favorisant le partage d’idées, en construisant une vision, en supervisant leurs équipes, en identifiant et en résolvant les problèmes majeurs).
- Les fiches de postes des grands dirigeants, étudiées depuis les années 2000, montrent un point d’inflexion vers les années 2007 avec une progressivité jusqu’à ce jour sur leur contenu. Aujourd’hui, une fiche de poste d’un cadre dirigeant contient près de 30% en plus de compétences sociales, et une diminution de 40% de compétences dites « opérationnelles » par rapport à 2007.
Une priorité nouvelle aux compétences dites « sociales » ?
Cette même étude a identifié 2 éléments mesurables expliquant cette évolution des compétences pour les PDG et cadres dirigeants :
- L’attention portée aux compétences sociales est d’autant plus marquée que la taille et la complexité des entreprises est grande. Plus une entreprise est grande et complexe, plus les cadres dirigeants doivent coordonner des savoirs disparates et pointus, et qu’ils assignent des objectifs aux top managers capables de les résoudre, tout en étant à l’aise avec toute forme d’interactions qui deviennent de plus en plus nombreuses aussi bien en interne auprès des collaborateurs, qu’en externe (auprès des clients et fournisseurs clés, mais aussi veiller à l’image de l’entreprise aux yeux des journalistes et marchés financiers, mais également du grand public). Tous ces domaines requièrent des compétences relationnelles particulièrement affûtées.
- Plus une entreprise utilise les technologies de traitement de l’information en automatisant ses activités au niveau industriel, ou en informatisant ses services qui s’appuient de plus en plus sur les mêmes solutions numériques du marché comme Amazon Web Services, Google, Microsoft, ou Salesforce par exemple, plus les dirigeants doivent harmoniser et gérer des équipes très hétérogènes, et réagir rapidement aux imprévus, ou gérer les conflits dans les prises de décision. Dans ce type de contexte d’immédiateté avec l’automatisation, tout dysfonctionnement important peut engendrer une rupture de produit ou service, les dirigeants doivent se distinguer par la qualité de leur management et donc être des communicants hors pair au niveau interpersonnel et interculturel, avec des prises de décisions rapides et efficaces.
Pour terminer sur les facteurs impactant, l’étude suggère également deux autres facteurs difficilement quantifiables qui expliquent cet intérêt grandissant pour les compétences sociales :
- Les réseaux sociaux et les technologies de networking. Les PDG et les cadres dirigeants doivent gérer ces interactions en temps réel en raison de la prévalence croissante des réseaux sociaux (qui peuvent immortaliser et diffuser les faux pas quasi instantanément) et des plateformes collaboratives (qui permettent aux salariés de partager amplement des informations et leurs opinions sur leurs collègues et leurs supérieurs).
- L’évolution de la société, implique de pouvoir gérer la diversité et l’inclusion publiquement avec empathie. Cela exige un excellent relationnel, doté d’une intelligence émotionnelle.
Des processus de recrutement à faire évoluer et à imaginer
Lors d’un recrutement d’un PDG ou cadre dirigeant, les références ne sont pas suffisantes pour mesurer les compétences sociales d’un top manager. Plusieurs phases de recrutement restent à requestionner :
- Comment obtenir des d’informations qualitatives à partir du parcours du futur candidat sur ses compétences sociales, en sachant qu’à ce niveau de recrutement, le secret est de mise ? Par ailleurs, comment vérifier ces informations en sachant que ceux qui mènent ces entretiens de recrutement et ceux qui fournissent les références ont de fortes chances d’appartenir au même microcosme que le candidat, ce qui augmente considérablement le risque de biais dans la prise de décision ?
- Comment évaluer le plus objectivement possible ces compétences sociales ? Aujourd’hui, certaines entreprises ont recours à des tests psychométriques (pour mesurer les traits de personnalités) ou à des simulations (pour évaluer la manière dont le candidat réagit face à une difficulté autour d’un scénario spécifique). Pour ce type de profil, ces pratiques sont très rares, et restent encore à éprouvées sur l’appréciation des compétences sociales d’un candidat à ce type de poste qui suppose des aptitudes à faire face à des problématiques complexes avec des groupes d’interlocuteurs différents. Aux compétences sociales déjà évoquées, des notions d’éthique et d’intégrité entrent de plus en plus en ligne de compte dans les critères de recrutement et sont aujourd’hui compliquées à apprécier.
- En cas de recrutement interne, la question d’un programme de formation autour des compétences sociales pour ce type de poste reste à questionner, en sachant que généralement, plus les managers grimpent dans la hiérarchie moins les formations sont présentes.